S’affranchir du capitalisme pour inventer demain.

A l’invitation de la Tribune d’écrire pour « partager l’économie » j’ai répondu oui. A la question centrale : « reformer le capitalisme » j’ai répondu : non, on a mieux à faire, et j’ai écrit « s’en affranchir. » Je raconte le monde de demain, réaliste…. «un monde dans lequel le capitalisme n’a aucun rôle ». Et puis je parle de l’importance des histoires, des récits qui forgent nos croyances ou nos impuissances. A suivre, le texte intégral.

Pourquoi vouloir sauver un système qui a failli ?

Peut-on répondre à des enjeux sociaux, économiques, sanitaires, migratoires, humains, écologiques, sans précédent, en bricolant à partir du système qui nous y a conduits ?

Il n’y a aucun sens à partir du passé pour bâtir l’avenir, c’est du conservatisme déguisé en progressisme. La « civilisation » ne progresse pas à coup de compromis ou de pansements. Elle progresse avec des visions neuves, en inventant ce qui n’existe pas encore. L’ampoule n’est pas née de la bougie.

Entre la construction d’un monde soutenable, désirable et le capitalisme, il y a incompatibilité technique. Ce dernier vit de la destruction écologique pour assurer la surabondance de biens, de la délocalisation parfois dans des usines esclavagistes pour être compétitif, d’extraction polluante de ressources fossiles, de déforestation, et de maladies dites de « civilisation ». Les perfusions de peinture verte, de RSE et de pseudo partage ne changent pas les mécaniques. Le capitalisme ne peut pas fonctionner sans ces « externalités » mortifères.

Consacrons notre énergie au bon endroit, employons le génie humain à inventer, explorer autre chose. Chaque euro consacré à retenir ce monde est un obstacle au suivant qui joue avec des règles déloyales.

Verdir le capitalisme fait perdurer le péril. Zappons, enterrons-le joyeusement pour être disponible à un autre monde. Revenons à la vraie question…

Revenons à la vraie question, une nouvelle feuille de route à la hauteur des enjeux. Imaginons le monde dans lequel nous pourrions tous vivre bien. Créons notre résilience, en dehors des croyances limitantes, en troquant la peur de l’inconnu pour l’élan de l’imagination.

Dans ce monde au climat instable, aux ressources contraintes, la vie sera différente mais elle pourrait être joyeuse… Apaisante, après des années de fuite en avant à courir derrière des illusions. Un monde où l’on renonce à remplacer son smartphone au bout d’un an, à avoir deux voitures, à gagner une seconde au téléchargement… Est-ce si grave ? Où l’on renonce aussi aux besoins qui nous aliènent, aux crédits, au burn-out, à l’overdose d’exigences, à l’indécence, à l’air vicié que nous respirons, aux populations qui trinquent pour notre mode de vie. Où l’on ne renonce plus à l’essentiel… à voir ses enfants grandir, à prendre le temps, retrouver la nature, accomplir sa vie, cette parenthèse précieuse. Où le sujet n’est pas de sauver le capitalisme mais de sauver l’humanité, notre bien être, notre dignité, avec empathie pour le reste du monde, avec respect pour la Terre qui nous accueille et toutes les espèces qui la peuplent au même titre que nous.

Un tel monde peut exister, les expérimentations convergent, il suffit de décadrer, de regarder avec acuité ce qui émerge, avec bienveillance ce qui est en construction, avec persévérance, rien ne se fait en un jour.

Imagine… ce serait un monde de…

Ce serait un monde de low-tech, ingénieux, une vie intense et pas intensive, où l’on se réapproprie ses désirs réels. La publicité créatrice d’obsolescence programmée du désir ne serait plus là pour créer des injonctions paradoxales. Avec le design, elle mettrait son talent au service des comportements vertueux, pour créer de nouvelles normes sociales et déconstruire les diktats culturels. La reconnaissance ne serait plus étalonnée sur ce que l’on gagne, mais sur ce que l’on est et sur sa contribution au monde. Se mêler de la société serait naturel, on troquerait l’infantilisation contre l’implication et son corollaire la responsabilité. La propriété privée pivot du vieux système céderait la place à la gestion des biens communs. Le revenu universel de base permettrait de quitter les entreprises mortifères, pour travailler avec les entreprises engagées, les associations. Ce serait un archipel de territoires qui produiraient leurs médicaments, leur nourriture, leur énergie, leur économie, le soin, l’éducation. Des territoires autonomes et reliés, on s’affranchit ensemble. Armés pour le prochain évènement improbable. L’argent y aurait repris sa juste place, avec les banques de temps, l’économie du don, les trocs de compétences, les SEL, les partages de biens, les systèmes se tissent entre eux. Les héritages pourraient abreuver la société au lieu d’être transmis. Finies les inégalités exponentielles et la tentation de l’accumulation.

Les populations vulnérables, bafouées, impactées par le système actuel, reviendraient au coeur des préoccupations. L’avenir ne devrait-il pas s’envisager avec les femmes, les jeunes générations, les enfants ? Voulons-nous être considérés comme une génération profiteuse ne se souciant pas de ce qu’elle laissera ? Les jeunes ne veulent déjà plus du capitalisme, les entreprises du CAC 40 ne les font plus rêver, euphémisme. Dans 10 à 15 ans ils et elles seront en âge de peser en politique et à tous les niveaux de la société. Donnons-leur ce pouvoir, avant que leur colère bien légitime n’enfle. Il ne s’agit plus des générations futures mais de la leur.

Naïf ? La naïveté serait de croire encore au capitalisme. Tout cela existe déjà. Ça et là, des minorités inventent en ordre dispersé contre vents et marées. Il suffit de relier, de déployer. Il suffit de regarder l’Histoire pour s’en convaincre : le monde change toujours sous l’impulsion de minorités que la majorité et les élites méprisent et combattent.

Et puis peut-on parler de grande civilisation quand elle n’a plus de vision, d’ambition, d’audace ? Quand elle n’a plus d’utopie ?

À l’origine, internet, le vote des femmes, la fin du bloc de l’Est, tous sont des utopies, celles de minorités clairvoyantes, visionnaires sur ce qui devait advenir.

Si l’utopie n’est encore en aucun lieu, comme le dit son étymologie, elle nait dans un endroit : l’imaginaire. Le meilleur agent du capitalisme fut Hollywood : on a vu, lu, désiré la société capitaliste. Débarrassons-nous de ce qui aujourd’hui obstrue et confisque nos imaginaires : l’illusion du transhumanisme, le tout high tech… Et contrebalançons ce qui plombe nos imaginaires : les récits apocalyptiques d’effondrement, de libertés réduites, de citoyens résignés.

Donnons à voir et à lire un autre monde. Les histoires forgent de nouvelles croyances, terreau de nos perspectives. Un monde dans lequel le capitalisme n’a aucun rôle.

 

Tribune publiée dans la nouvelle Revue T de la Tribune , novembre 2020.

Entre l’intro de Joseph Stiglitz j’en suis honorée, et pour ouvrir le dossier sur la réforme du capitalisme, je trouve cela audacieux. Un numéro avec plein de gens que j’aime regarder faire ou écouter parler: Zahia Ziouani, Thierry Marx, Gilles Boeuf, Eva Sadoun, Dominique Méda… ET ces oeuvres de Rero (dont les installations « Failure » et « C’était mieux après »)   Beauté d’artctivisme. Numéro à retrouver sur le site La Tribune.

Merci de m’avoir donné la parole à l’occasion de la sortie de mon roman « les déliés »,
Alors un monde sans capitalisme #fictionornotfiction ?
Retour aux actualités