L’objectivité, faux-ami de l’honnêteté et de la justesse.

Petite réflexion subjective qui parle aussi d’une susceptibilité personnelle, d’un musée à Liverpool, de Albert Moukheiber neuroscientifique, du film « les graines du figuier sauvage », d’édition et d’un pseudo complotisme écolo-féministe.
Il y a d’où je parle, d’où vous m’écouter, et entre les deux une rencontre.

Nul n’est objectif.

Prétendre être objectif cache une autorité envers un auditoire qui devrait admettre notre propos pour vérité. À l’inverse affirmer sa subjectivité c’est avoir confiance en l’esprit critique, en l’intelligence de l’autre, reconnaître d’autres subjectivités. Assumer sa subjectivité, sans rien lui passer, ancre un propos.

Le dogmatisme n’est pas du côté que l’on croit.

Confronter la « neutralité » (précédent post) m’a amené à son pendant : les engagé·es. Ces dernier·es sont renvoyé·es au camp de celles et ceux qui ont un camp, et donc ne seraient pas « objectifs » . C’est notamment ce que l’on oppose aux journalistes engagé·es comme Salomé Saqué, Paloma Moritz, Bonpote, Vert le média…

Ce sujet me titille depuis qu’un journaliste m’a qualifiée d’ « altermondialiste » en 2018 pour relater ma conférence au Web2Day intitulée « High tech low future », « un véritable supplice » selon lui. Cette étiquette pointait un point de vue plombant (lucide), au pire irrecevable au mieux « subjectif ».

Si je l’ai mal pris à l’époque, y voyant la délégitimation d’une réflexion que je voulais factuelle, pour alerter un secteur qui ne l’était pas, aujourd’hui cela me parle surtout de l’injonction à l’objectivité.

En vérité, situer d’où l’on parle est essentiel, c’est même une honnêteté. Nous devrions porter haut notre subjectivité.

 

Les Historien•nes reconnaissent la subjectivité de tout récit historique, et notamment l’absence de certaines subjectivités (des voix silenciées ou non entendues).
Un musée de Liverpool interroge (et donc répond) « un musée est-il neutre ? », resituant sur certaines pièces : fruit d’un “vol” de la colonisation, sur d’autres la manière dont nous devrions les regarder. D’où nous parlent-elles ?
Albert Moukheiber, neuroscientifique passionnant, explique au micro d’Anne Ghesquière combien il est fondamental de développer une « science de la subjectivité », que chaque fait doit être regardé avec le bon niveau explicatif.

Ces trois exemples honorent une quête souveraine: l’honnêteté. Qui amène à une seconde : une pensée plus puissante, non dogmatique, moins dominatrice.

Toute parole est subjective , elle est portée par un sujet. Sujet d’une époque, d’une lignée, de circonstances, d’un inconscient en lame de fond et même de l’écume du moment. Nous parlons depuis une histoire, depuis une discrimination ici, depuis un privilège là, mais aussi depuis un engagement par delà ces circonstances.
Le film « les graines du figuier » sur les femmes iraniennes est subjectif, fort et honnête. Sur la complexité des êtres, sur le système qui broie les humanités, sur l’immense courage, qui se négocie point par point. Il n’est ni complaisant, ni « facile », ni “orienté”, il est honnête.
On parle aussi depuis des compétences, être concerné·e en est une, être repenti·e, passif•ve… Et évidemment depuis nos connaissances, nos recherches, notre savoir-faire, notre travail.

Accueillir la subjectivité c’est aussi nous reconnaître comme sujet, pensant, ressentant. Réduire le risque toujours présent (notamment pour les minorités) d’être perçu comme des objets sans opinion (valable). D’ailleurs vous accuser de subjectivité revient souvent à vous dénier le droit d’avoir un point de vue propre. Vous renvoyant à une écervelée qui serait enrôlée, enjôlée par je ne sais quel complotisme écologique ou féministe. (Bouh !)

Il se cache donc aussi derrière l’injonction à l’objectivité un rapport de poids comme si la pensée dominante ( issue d’une domination et non d’une puissance de cette pensée) était forcément l’endroit de l’objectivité. C’est donc aussi une injonction à la norme.

Courir après l’objectivité, se cacher derrière l’implacable, accentue le risque de ne pas questionner sa parole, ne pas la mettre à sa juste place : une vérité subjective mais une part de vérité néanmoins, parmi plusieurs vérités. Évidemment les contre-vérités des climatosceptiques ne jouent pas dans ce jeu. Car la subjectivité n’empêche pas le factuel. L’honnêteté une fois encore.

A poursuivre l’objectivité on perd la justesse.

Il y a d’où je parle et d’où vous m’écoutez. La subjectivité est aussi celle l’auditoire. Nul n’est objectif. Dis-moi qui tu es et je te dirais si je te crois.

Ma subjectivité posée, l’honnêteté pour fil, alors celui qui écoute, lit, est en sécurité pour m’entendre. Il n’y a pas d’embrouille. Cette authenticité-là, cette relation-là ouvre une attention plus équilibrée. En assumant ma subjectivité je reconnais celle de qui m’écoute.

Plus on est intime, authentique et plus on est universel. Plus on est subjectif, plus on parle à l’humanité singulière en l’autre, celle qui nous lie. Nous ne parlons pas depuis le même endroit, mais ce sont les mêmes mécaniques, questions. L’intimité dont je parle cherche à comprendre, prendre avec, à se relier. À l’autre, à ce qui nous dépasse, au petit bout de réponse qu’on apporte dans ce grand bazar.

En tant qu’éditrice, autrice je sais que toute personne a une histoire et une vision politique du monde. Un bon livre ne peut émerger sans que cette vérité soit assumée. Quand on se cache, on sonne faux. La justesse exige le dévoilement.

Qu’avez-vous à apporter au monde qui soit nouveau, parce que subjectif ? Qui puisse résonner avec un public parce que subjectif ? Qui sonnera juste. La subjectivité, c’est se mêler du monde au plus proche de qui on est. Oeuvrer à sa juste place.

Si on arrête de brandir l’objectivité, on trouve la quête souveraine qui se cache derrière : la justesse.

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