Quand j’étais petite, ma mère me traitait de « Petite prétentieuse« . Je ne comprenais pas pourquoi…. Mais je comprenais que ce n’était pas très sympa… Alors J’ai tout fait pour taire ma « prétention ».
Elle m’est revenue en pleine tête. L’année dernière. Nicolas, bloggueur, avait lu mon second livre Les Suspendu(e)s . Il m’a écrit « ce livre m’a donné le courage de mes prétentions, je me suis vu beau»… Ça m’a beaucoup touché… C’était ça !
Etre utopiste : c’est avoir des prétentions ! Nous sommes en droit d’en avoir. Oui j’ai des prétentions sur la vie. Je ne crois pas qu’on soit sur terre juste pour être une fille obéissante, un gentil électeur et un bon consommateur.
Et cette prétention, finalement elle me sauve. Je fais partie de ces gens qui éprouvent un « mal au monde ». Je souffre de ce qu’on inflige à la Terre, au vivant, aux êtres humains. Ça me touche.
Bon ça fait un peu dramatique dis comme ça… mais en fait ça va . Dans cette souffrance je crois que je puise une urgence, un sens de l’essentiel. Si J’arrive à vivre avec, c’est parce que je la sublime. Avec l’utopie.
Non pas que l’utopie soit une forme de déni, une diversion pour fuir la souffrance du monde, Non parce que je les connais les petits sourires ironiques sur les utopistes… Et bien il n’y a pas de quoi ironiser ! L’utopie c’est LE moyen de changer la réalité.
L’étymologie de l’utopie c’est ce qui n’a pas de lieu. C’est donc l’irréalisé. Et depuis quand l’irréalisé c’est l’irréalisable ? Et pourquoi ce qui n’existe pas, ne pourrait pas exister un jour ? Donc on n’invente jamais rien ?
Cette petite condescendance à l’égard des utopistes révèle un manque de vision, d’audace. Ou est-ce la peur ? La peur d’espérer, de rêver grand. Le contraire de l’utopie n’est pas le réalisme, c’est le conservatisme.
Heureusement pour nous, certains, certaines, s’autorisent à rêver grand. Sans utopistes, le train n’existerait pas, nous n’aurions pas internet, Je n’aurais pas la sécurité sociale. Je n’aurais pas le droit de vote. Mon sucre serait encore taché du sang de l’esclavage… Tout ce qui nous paraît évident aujourd’hui, nos droits les plus légitimes, les plus beaux, étaient des utopies inconcevables.
Qui aujourd’hui douterait du combat des Suffragettes pour le droit de vote ? Et bien à l’époque ces petites prétentieuses étaient tout juste 400 en Angleterre. La plupart des autres femmes leur crachaient dessus.
Qui ne serait pas fier de pouvoir dire, pendant la Guerre j’étais dans la Résistance. En fait seuls 2 à 3% pourraient le dire, et la plupart des autres les verraient comme des terroristes, des traitres à la nation.
Pourquoi tant de haine pour ceux et celles que l’on honore des années plus tard ?
Parce qu’un utopiste prétend à un tout autre futur. C’est donc une contestation du présent. Et dans notre grande majorité nous détestons que l’on conteste notre présent. Cela fissure notre illusion d’harmonie, notre ciment social. Penser que tout va plutôt bien nous rassure. Nous en remettre aux autorités nous décharge de nos responsabilités.
Alors tous ces gens qui prétendent à autre chose, c’est comme s’ils disaient « quelque chose est intolérable et pourtant vous le tolérez . » C’est hyper dur d’entendre que peut-être nous collaborons au pire.
Alors on les traite de bisounours ou de radicaux. Hein…. les bobos, les alter, les écolo… 50 ans qu’ils nous embêtent avec leurs histoires. Nous voyons ce qu’ils dérangent, au lieu de regarder ce qu’ils défendent.
Certes un utopiste pose des objectifs radicaux, mais sinon c’est quoi la bonne proportion ? Vous imaginez les abolitionnistes réclamant un esclavage responsable, ou une transition esclavagiste…. De combien on les réduit les coups de fouet ? Par 4 ? Ça va ça ? C’est une concession raisonnable ? …. Non mais c’est insensé ! L’humanité n’est pas négociable. Elle est forcément radicale !
Mais vous croyez qu’on fait quoi aujourd’hui ? La pollution de l’air ça se voit moins, mais on en meurt : en France 48 000 morts par an. Alors on les réduit de combien les particules fines ? On s’autorise combien de morts ? Quel quota d’enfants asthmatiques en dommages collatéraux ?
Au nom d’un modèle, on négocie la vie des gens. On en pensera quoi dans quelques années, ? C’est injustifiable.
C’est pas parce que notre modèle est dominant, la norme, qu’il est acceptable! …. L’esclavage aussi, était la norme.
Un utopiste ne se soumet pas à la norme, il se soumet à ce que lui dicte son coeur. On devient utopiste par urgence, par nécessité intérieure. C’est un élan qui passe par toi et te dépasse .
Et c’est profondément lumineux : dire Non à l’intolérable c’est surtout dire oui. Oui à la vie. Oui à une humanité qui grandie. Un utopiste a des prétentions sur qui nous pourrions être.
Il décide du futur qu’il veut voir advenir. Il est habité par le désir d’un autre monde. C’est pourquoi c’est si puissant, Le désir c’est plus fort que la peur, la tristesse ou le sentiment d’impuissance. Et puis il a la foi ! On y croit ! Un utopiste croit en lui, en son pouvoir. Il croit en nous.
Tout cela lui donne un courage essentiel : celui de désobéir. Ça aussi ça dérange… Un utopiste peut être contraint de désobéir aux lois quand elles sont illégitimes. Mais avant cela il désobéit au fatalisme, à l’injonction de son milieu. il s’affranchit.
Il s’affranchit des croyances de son époque, du regard des autres, de ses pères, de sa mère. Il s’affranchit des autorités, de l’opinion de la majorité. Il s’affranchit de ses propres barrières. Pas simple… mais tellement libérateur.
Un utopiste s’affranchit…pour s’accomplir. Il désobéit…. pour obéir à ses valeurs.
Renoncer à ses utopies c’est renoncer à prendre sa place dans le monde, renoncer à l’humanité, la trahir.
Et c’est aussi se trahir, s’amputer, étouffer la plus noble partie de soi. C’est un renoncement à soi. Mais on ne renonce pas à soi impunément, ça finit toujours par vous revenir à la figure.
Alors que dès qu’on assume ses prétentions pour le monde, Pouf…. tout s’aligne… On sonne juste ! Et ça résonne avec la pulsation du monde.
Chaque matin, J’essaye de me poser une question, comme si c’était mon dernier matin : Qu’est ce que je veux faire de mon vivant ? De cette parenthèse, ce temps imparti. De cet être que je suis. Comment j’honore ma chance d’être en vie.
Et ce que je voudrais dire ce soir, comme si c’était mon dernier soir… amis utopistes, que vous soyez agent dormant, infiltré, aspirant ou « à fond », faites votre coming out, arrêtons de nous excuser.
Vivons intensément, pour réaliser l’utopie d’être ce que nous sommes.
La grande marche du monde est suspendu à ce choix, notre accomplissement également.
< Texte pour Debout citoyenne ! Un évènement au théâtre Le République, organisé par l’association Eklore > . < Photo instagram Mathilde_brc >