Une nouvelle crise économique et financière a de grandes chances de se matérialiser à mesure que le virus se répandra dans le monde. Elle pourrait être aussi importante qu’en 2008 ou pire. Il est encore trop tôt pour le dire. L’Europe devrait en tirer les leçons en matière de non résilience de son économie et de fragilité de la chaîne de valeurs.
Yannick Roudaut
Source: Les Échos du 5 mars https://www.lesechos.fr/monde/chine/coronavirus-quand-des-usines-chinoises-font-semblant-de-reprendre-1182031)
L’ombre de 2008
12 ans après l’effondrement de la banque Lehman Brothers suite à la crise des subprimes, de nouveaux voyants rouges s’allument. La chine est au ralenti. L’Italie se confine. La France et d’autres pays d’Europe commencent à anticiper une diffusion large du virus et les consommateurs commencent déjà à réduire leurs achats et déplacements. Quand les investisseurs vont se rendre compte que l’argent déversé par les banques centrales est impuissant face à la psychose, les bourses chuteront lourdement et l’économie réelle entrera dans une nouvelle phase de crise. Ce scénario est aujourd’hui probable. Seul un épisode viral de courte durée (deux à trois mois) pourrait l’invalider. C’est ce scenario court que les investisseurs retiennent pour l’instant. Ils parient sur un soutien massif des banques centrales à l’économie afin de pallier le ralentissement de la production et de la consommation durant les prochaines semaines. Si, comme je le pense, les investisseurs sous-estiment les conséquences économiques du Covid-19, le réveil financier prendra des allures de gueule de bois, et la chute sera sévère.
Des investisseurs encore confiants
Pour l’instant, les Bourses ont un peu tremblé (-10% la semaine dernière en moyenne pour les grands indices), mais la barre est bien tenue. Le discours rassurant des banques centrales lundi 2 mars (comment pourraient-elles faire autrement ?), est venu redonner du baume au cœur des investisseurs en ce début de semaine. Mercredi soir, Wall Street s’offrait une belle hausse de +4,53% après un gain de +3% la veille. La décision surprise de la FED, la banque centrale américaine, de baisser le niveau de ses taux d’intérêt pour envoyer un signal de soutien aux marchés a finalement porté ses fruits après un accueil glacial le lundi. Oui, les banques centrales, BCE, Fed, Banque d’Angleterre, du Japon…injecteront des wagons de liquidités sur les marchés si cela est nécessaire, comme elles l’ont si bien fait en 2008. Oui, elles prendront des mesures extraordinaires pour inciter les consommateurs à poursuivre leurs achats et donner de l’oxygène financier aux entreprises en difficulté, mais la marge de manœuvre est étroite.
En baissant ses taux d’intérêt alors que l’épidémie n’en est peut-être qu’au début en Europe et aux États-Unis, la Fed vient de tirer une cartouche qu’elle ne pourra pas utiliser au plus profond de la crise dans quelques semaines. Et en Europe, les taux d’intérêt sont déjà négatifs de 0,5 point. Baisser le niveau des taux créerait de nouvelles difficultés au système bancaire qui a déjà du mal à se dépatouiller de cette situation inédite dans l’histoire économique récente. Dans un environnement de taux négatifs, les banques et compagnies d’assurance doivent réaliser des acrobaties pour trouver les moyens de verser un rendement à leurs clients, honorer les engagements de rémunération promis en assurance-vie, alors que l’argent ne rapporte rien à court terme et très peu sur 10 ans. Une chute des cours de bourse viendrait plomber leurs investissements sur les marchés et accroître le risque de krach.
Le fruit est mûr
Malgré ces annonces rassurantes des banquiers centraux, le risque de chute des indices est bien plus élevé qu’on ne peut l’imaginer aujourd’hui. Premièrement, le ralentissement de la consommation mondiale est inéluctable. D’après la rumeur Pékin aurait demandé discrètement aux entreprises de faire tourner les climatisations et les machines à vide pour que la consommation d’électricité redémarre, preuve que la Chine se remet au travail .
Une nouvelle inquiétant si elle est validée. Les investisseurs valorisent les entreprises sur des prévisions de résultats à venir. Quand ils vont prendre conscience de l’impact du Covid -19 sur les comptes des entreprises, la révision à la baisse pourrait être drastique et les valorisations boursières seront ajustées.
Deuxièmement, la politique de taux d’intérêt faibles voire négatifs, menée par les banques centrales ces dix dernières années pour répondre à la crise de 2008, a généré une bulle d’endettement qui peut éclater au moindre accident dans le scenario de croissance de l’économie. Car si les ventes des entreprises ne sont pas au rendez-vous, si l’activité économique est paralysée comme c’est en partie le cas en Chine, certaines entreprises , certains ménages, seront dans l’incapacité de rembourser leurs dettes, faute de revenus. La défaillance d’un acteur important suffira à déclencher une réaction en chaîne comme en 2008. Des banques chinoises ou européennes pourraient être extrêmement fragilisées. Étant toutes interdépendantes les unes des autres, quand une banque fait faillite, elle éclabousse toutes les autres (cf Lehman Brothers)
Troisièmement, le fonctionnement des marchés financiers repose sur l’endettement et la recherche d’un effet de levier maximal. Le château de cartes financier mondial repose sur la spéculation via la dette. Sans entrer dans les détails techniques ennuyeux, il faut savoir qu’un grand nombre d’investisseurs s’engagent sur des positions sans disposer de l’argent nécessaire. Ils investissent à crédit. Quand les cours chutent, certains d’entre eux doivent liquider des positions pour honorer leurs engagements sur d’autres investissements, pour dégager du cash. Ce sont les appels de marge. On vend pour pouvoir sauver quelques positions et ne pas tout perdre. Dans ce cas de figure, la baisse nourrit la baisse. C’est ainsi que les krachs démarrent généralement.
Quatrièmement, les investisseurs sous-estiment pour l’instant, l’impact psychologique du Covid-19. En plein pic d’épidémie, d’ici quelques semaines, les médias européens et américains diffuseront en boucle des messages plus ou moins alarmistes invitant à ne pas trop fréquenter les lieux gavés de monde. Très vite, la psychose peut s’installer, entraînant une chute de la consommation, un choc économique brutal. Quand les investisseurs prendront conscience de l’inefficacité des actions des banques centrales sur la psychose, les bourses dévisseront. Si les usines tournent au ralenti et que les magasins se vident par peur de la contamination, les États et les banques centrales ne pourront rien y faire. Ils auront d’ailleurs été, par leur communication anxiogène, les pyromanes d’un incendie qu’ils auront du mal à éteindre.
L’effet domino
La chute des marchés pourrait entraîner des difficultés bancaires, peut-être même une nouvelle crise bancaire, laquelle déboucherait sur des problèmes de financement pour les entreprises. Beaucoup de PME sont déjà affectées. Un dirigeant d’entreprise me confiait récemment qu’il pouvait tenir 3 mois sans licencier mais qu’en cas de gel de son activité induite par le virus, il n’était pas sûr de pouvoir tenir. L’accès au crédit deviendrait plus difficile. Des fermetures d’entreprises pourraient se multiplier. C’est ce que nous avons connu en 2008. Dans un troisième temps, des licenciements auraient lieu, nourrissant la chute de la consommation…le cercle vicieux de la récession économique mondiale serait enclenché, débouchant sur une montée des contestations populaires déjà bien nourrie ces derniers mois. Et cette fois-ci, on voit mal les gouvernements débloquer des milliards d’euros pour sauver la Finance. Le contexte social de 2020 n’est plus celui de 2008.
Quels sont les aspects « positifs » de ce sombre tableau ?
En Chine, les émissions de gaz à effet de serre auraient déjà reculé de 7% depuis le début de l’année. L’air y est plus respirable dans un pays où 1 million de personnes par an meurent de la piètre qualité atmosphérique.
Si le Corovid 19 s’installait dans la durée, il pourrait être le catalyseur d’une transformation profonde de notre société et la première brique d’une dislocation économique mondiale qui déboucherait sur la relocalisation de la production et la réduction des échanges internationaux. Cette épidémie met en exergue notre manque de résilience dans une économie interdépendante. Même nos médicaments dépendent de la Chine !
Au-delà des décès que l’on ne peut que regretter, cette épidémie pourrait nous amener à remettre en question notre vision d’un monde en flux tendus et contribuer à développer les circuits courts, les initiatives locales, la création d’une économie de proximité et moins dépendant de containers et avions. Une économie moins polluante.
Ce Corovid-19 nous invite à travailler notre résilience. L’humanité pourrait être confrontée à une menace encore plus sérieuse à l’avenir (fonte du permafrost et apparition de bactéries inconnues). Nous devons tirer les leçons de notre fragilité économique. Nous y serions tous gagnants. Cette transformation ne serait pas sans impacts humains, économiques et sociaux, mais au regard de la trajectoire climatique sur laquelle l’inertie nous engage, ce Covid-19 aura peut-être le mérite de nous réveiller, de nous sortir de la léthargie face à un défi environnemental qui se résume à long terme à la survie de l’humanité et à la nécessité de réinventer nos économies. Un mal pour un bien.
(Image d’illustration 3-D Virus Illustration. Image credit: iStock)